Cameroun - Culture ; Taphis : "Les jeunes artistes camerounais sont leur pire ennemi"

Cameroun - Culture ; Taphis : "Les jeunes artistes camerounais sont leur pire ennemi"

Taphis, manager de l'artiste Tenor et acteur majeur de la culture au Cameroun, dresse un constat sans appel sur les difficultés rencontrées par les jeunes artistes camerounais pour émerger sur la scène nationale et internationale. Dans cette chronique, il identifie six problèmes majeurs, qu'il juge tous interdépendants.

Pour comprendre pourquoi les jeunes artistes camerounais peinent à émerger sur la scène nationale et internationale, il faut se regarder en face et se dire la vérité. 

Problème 1 : Nos jeunes artistes manquent de culture générale. Et ne font pas suffisamment de recherches pour connaître et respecter les précurseurs. Se rapprocher des aînés pour grandir et maîtriser leur environnement. 

Pour ça il fait remonter à presque 40 ans. Et se projeter sur quatre décennies de RAP. On a connu des kiffeurs de RAP US à l’ancienne jusqu’aux compétitions de danses internationales de Hip Hop avec par exemple les YAOUNDÉ CITY BREAKERS. Le Rap et le mouvement Hip Hop était à ses premiers balbutiements pendant la première décennie. Il a fallu de gros déclics comme par exemple l’Album de 8 titres intitulé « RAP INDOMPTABLE » de Benjo Styl, qui est également le premier rappeur à mettre sur le marché une compile au kamer « du fond des égouts » en 1999. Je pense à Anonym Crew, État d’urgence, OAN (Originaires d’Afrique noire), UMAR CVM, Big B-Zy… Autant de groupes et de Mc’s qui commençaient déjà à se frayer un nom. 

Les deux premières décennies, c’est les premières scènes, les premiers projets, les premiers groupes. Les studios sont difficiles d’accès et chers. Certains comme René Ayina sont Parmis les rares qui se risquent à programmer cette musique sur scène considérée comme pour délinquants juvéniles. Revenir en détails sur cette période est très longue, donc j’ai essayé de synthétiser. 

Problème 2 : La culture de transmission de savoir faire, de soutien et de pérennisation nous fait défaut depuis la base

Beaucoup de jeunes n’écoutent pas de musique de leurs devanciers. N’ont pas de références, n’ont pas de repères. Rasyn, Negrissim, Ak Sang Grave, Protektor, Bantu Clan, Malekum Fu, Balafon Kunta… Ce sont des noms pourtant connus, populaires et respectés en leur temps. Avec des textes profonds racontant leurs quotidiens et surtout leurs rêves et leurs douleurs mais aussi leur combats. 

On dit pour savoir où tu vas, il faut savoir d’où tu viens… Cette génération spontanée qui bande sur les volumes de streams et vues sur YouTube n’en ont, pour la plupart, que faire de tout ça. Et c’est bien dommage. 

Les jeunes se plaignent aujourd’hui en comités restreints sur les réseaux sociaux et se plaignent que les aînés ne les aident pas ou ont confisqué la scène. Certains « aînés » sont même parfois leurs egos en âge. L’enfer c’est les autres. On ne veut pas apprendre des autres, mais on veut créer des miracles. 

Problème 3 : Le financement, la diffusion, l’exposition. 

De toutes trois premières décennies, se faire diffuser en télé ou en radio était un miracle. Chaque programme qui accordait quelques minutes d’antenne à un YOR était un risque et une victoire. Le RAP local était parfois interdit de radio. Mais devait exister à tout prix au nom de la passion et du sacerdoce. 

Ça parlait plus chinois que de business. Ahh ! Business ? A quelle époque dans les gars ne voulaient que chanter et de faire écouter? Se réunir à African Logic, les Sunday Rap et se clasher avec ses inter quartiers ? C’était dur et beaucoup ont été frustrés. Des unions ont été scellé, des bagarres ont existé, et des gosses sont nés. 

Mais il n’y avait pas l’argent dans ça. Un miracle de voyage à Marseille en 1998 ? L’Essor de vrais labels comme MAPANE RECORDS de LOUIS TSOUNGUI à Yaoundé ou SO SOUND ENTERTAINMENT avec DJ RENE KOOL

De 1997 à 2003, le RAP CAMER recherche son identité musicale dans une fusion de rythmes et de genres et laisse éclore ses premières stars nationales. Oui ça ne fait pas 20 ans qu’un rappeur pouvait rester comme ça toucher 100 000 FCFA de cachet et jubiler. Apparaître sur une cassette chrome ou plus tard sur un CD était un moment de célébration et quasiment un luxe. 

Certains Majors se sont aventurés au pays et ont lu l’heure sur la marmite de Koki. Entre des gens qui ont cru que ça pouvait devenir un instrument de chantage et de tortures ou de développement… Je sais pas. C’est un épisode douloureux pour la musique locale mais riche en enseignement. Et ceux là qui ont cru qu’ils pouvaient utiliser ces machines pour mater au lieu de fédérer et construire ensemble n’ont pas encore commencé à lire l’heure. Le karma sera violent. 

L’argent de la production est un domaine à haut risque. Il faut trouver le bon business model pour notre environnement. C’est un réel défis. Entre les artistes qui ne comprennent rien du business de la musique, entourés d’auto didactes et d’essayistes 

Problème 4 : L’environnement précaire, délétère, exécrable !

Le sempiternel problème de structuration n’impacte pas seulement le RAP mais toute la musique camerounaise. Et ce n’est pas prêt de changer parce que même s’ils le voulaient, ceux qui sont censés assainir tout ça ont plus importants à faire. S’étaler dessus c’est chercher des problèmes inutiles à l’heure actuelle. 

Depuis plus d’une dizaine d’année j’écris des chroniques pour le Groupe Declik via KamerHipHop à l’époque devenu aujourd’hui Kamermoov. Certains sont encore disponibles comme celui ci :

https://www.kamermoov.com/4239-rap-kamer-autopsie-du-hip-hop-camerounais-1ere-partie.html

L’environnement est toxique. Le niveau est radioactif. Combien de labels ouvrent et ferment ? Personne ne se pose la question. Investissement à risque, artistes ingrats. Les amis ou membres de la famille avec des conseils qui détruisent des carrières. Les exemples sont légions. Beaucoup auront des histoires à raconter dessus. 

Il n’y a pas l’argent, l’état n’aide pas et ne facilite pas… Conséquence directe… 

Problème 5 : Changement de paradigme à l’échelle internationale 

Le monde du business de la musique n’aura aucune pitié de nous. On aura qu’à s’appeler indomptables du continent, à miser sur la chance on accrochera l’avenir de ses jeunes sur le sort de la providence comme les rêves d’un parieurs de jeux sportifs ou hippiques. 

Face à la globalisation, pour s’imposer il faut se préparer, avoir des champions et miser gros. C’est des intérêts qui dépassent les rêves de gloire de ces gosses qui peinent à se faire écouter. On parle d’intérêts géopolitiques et de révolution culturelle et de son affirmation au concert des nations. 

Le marché n’est pas seulement YAOUNDÉ et DOUALA, on te compare à la star venue de LAGOS, ABIDJAN ou DAKAR. Ceux qui poussent les coups de gueules sur internet pour que tu remplis des stades à Paris et New York ne vont jamais acheter un ticket et t’attendent sur des comptes gossip pour lâcher des commentaires de moqueries. Nous ne sommes pas sortis de l’auberge. 

Personne ne veut savoir ce que ça coûte. Quit à limite vendre ton âme. Et là tu te mets sous pressions des bavardages des gens qui peuvent te pousser au cimetière et te transformer à un fait divers de plus qu’on oublie le temps d’un Slide. Nous ne sommes pas préparés parce qu’on ne s’écoute pas, du public aux décideurs et on se paie le luxe d’être divisés, sans structure d’encadrement et de formation. 

Problème 6 : La formation et l’information

Apprendre qui ? Où ? Pour faire rire qui ? 

Un conservatoire au nom de Manu Dibango serait la bienvenue… Mais alors… C’est compliqué me dira t’on. 

Il y a internet, mais au lieu de faire des recherches, lire, beaucoup préfèrent se pavaner en comptes fakes sur les réseaux sociaux en longueurs journées pour insulter ceux qui brillent… Pourtant ils revendiquent cette place. On passe plus de temps à commenter les faits divers que d’apprendre et se battre à rentrer en studio. C’est compliqué !

Les jeunes veulent percer, ils veulent la place. 

D’accord… Oui mais il prendre le temps d’apprendre, de se construire, comprendre l’environnement dans lequel ils sont et les enjeux nationaux et internationaux. Le plus dur trouver des financements et participer à l’assainissement du show pour en faire un biz et avant toute chose connaître leur propre histoire. 

Celui qui connaît un peu cache et s’invente une vie de guru. Ailleurs ça se réunit à ça partage pour le bien de tous. 

Les jeunes sortent beaucoup de projets mais passent inaperçus. De bons projets mais alors de belles claques, parce que la réalité est brutale. On vous a dit que vous êtes forts, donc soyez insolents, insoucieux, discourtois, imponderants et parfois toxicos ça va remplir vos frigos et faire exploser vos projets. Oubliant qu’une main n’attache pas le KOKI. À suivre des charlatans, parfois récupérateurs foireux, qui se disent faiseurs de roitelets on s’attend à quoi ?

Beaucoup naissent et disparaissent sur des cycles moyens de 3 à 5 ans après leur premier tube. Les plus chanceux font 10 ans sur la scène. Au delà il y a des miraculés qui traversent des générations. À citer des Krotal ils ne sont pas plus de deux pour dix millions d’habitants. 

À miser sur la providence depuis quasiment quarante année, les résultats seront jamais différentes pour les mêmes causes. Donc on ne pleure pas. C’est interdit de pleurer !

TAPHIS.